Sauvons la station de tramway du Tilleul!
Une capitale cantonale, un tramway
Le 27 Juillet 1897, la première ligne du tramway fribourgeois, Gare –Tilleul – Pont- Suspendu, était inaugurée en grande pompe. 35 ans après le raccordement aux Chemins de fer fédéraux et simultanément aux autres grandes villes helvétiques, Fribourg s’offrait un système de transports en commun électrique. Cet investissement considérable permettait à tous, ensemble et en transports communs, de circuler en ville et dans les quartiers historiques comme le Bourg ou ceux qui émergeaient comme Pérolles. Le siècle qui se terminait, offrait de nouvelles perspectives aux générations à venir. Tous ceux qui en ont bénéficié ont encore le regard teinté de souvenirs égayés par les drelins survoltés avertissant l’arrivée de ces fiers équipages.
Cette épopée allait fasciner les Fribourgeois durant presque septante ans. Les années soixante et leurs velléités de «réinventer la roue», allaient finalement avoir raison du tramway. En 1965, les rails habituellement lustrés par un roulement incessant allaient commencer à rouiller. Le trolleybus avait supplanté le tramway. Durant de nombreuses années, les voies désaffectées ornèrent nos rues et nombreux furent ceux qui, interpellés par ces cicatrices du passé, se plaisaient à imaginer cette fameuse époque des tramways, témoins d’un passé radieux où Fribourg s’était ouvert à la modernité et s’armait pour l’avenir. C’était un peu du visionnaire Julien Schaller, qui s'est battu brillamment pour que les Chemins de fer fédéraux s’arrêtent dans notre belle capitale, qui vibrait le long de ces rails. C’était aussi une trace du génie de Fribourg, forgé par le fameux Georges Python ou encore les ingénieux Guillaume Ritter et Beda Hefti.
Une trace du génie fribourgeois
Le tramway et ses reliques évoquent aujourd’hui encore une période faste et audacieuse. Loin de nous la nostalgie du «bon vieux temps du tramway». Mais soyons à la hauteur de nos aïeux et faisons honneur à la devise du collège Saint-Michel: «Nous louons les anciens, mais nous sommes de notre temps!» Un passé radieux n’est pas là pour nous enchaîner, ni pour remettre sur roues des chimères du passé. Le génie des anciens est là pour nous projeter plus loin, pour grimper sur ses solides épaules et voir au-delà de la pensée routinière des hommes de dossier. La station de tramway de la place des Ormeaux est l’une des traces du génie fribourgeois et de sa prise de risque en plein cœur de Fribourg. Notre station de tramway nous rappelle l’esprit et l’enthousiasme de ceux qui voulaient que notre cité soit un centre politique, social, économique et intellectuel à l’échelon cantonal, national, européen et international. En d’autres termes, cette vénérable station de tramway évoque un temps où Fribourg s’imaginait en incontestable pôle urbain plutôt qu’en triste cité-dortoir.
La station de tramway des Ormeaux
En 1897, la première ligne de tram ne comportait que quatre croisements. Le premier se trouvait au Tilleul, le second aux Places (aujourd’hui la place Georges-Python), le troisième à la Gare et le quatrième devant l’imprimerie St-Paul. Cette colonne vertébrale reliait le centre historique au centre moderne en pleine gestation. La place des Ormeaux était l’un des épicentres de ce système de transport électrique approvisionné par l’énergie produite par le barrage de la Maigrauge, premier barrage en béton construit en Europe. La halte de tramway du Tilleul allait être équipée en 1907 d’une «halle de tramway» comprenant un kiosque, des w.-c., et un abri. Une cabine téléphonique apparaît aussi sur les plans de ce premier bâtiment remplacé dans les années trente par la station actuelle.
Cette halle de tramway fut terminée pour la fête fédérale de tir de 1934, événement organisé tous les cinq ans et réunissant des dizaines de milliers de personnes. Toutes les grandes personnalités du pays allaient venir à Fribourg pour cet événement et il fallait que la station de tramway soit terminée et à la hauteur de cet événement majeur.
Un arrêt de bus «sans valeur»?
Ce que nous appelons aujourd’hui l’arrêt de bus du Tilleul est en réalité la deuxième version de la halle de tramway des Ormeaux. Ce bâtiment a subi les affres des années. Il n’a jamais profité d’une quelconque restauration ou réfection, ni même d’une véritable réflexion sur son statut de monument historique, sa fonction de plateforme sociale d’échange et de rencontre, sur son rôle de rarissime témoin du tramway fribourgeois, sur son intégration architecturale au sein du cœur historique de notre magnifique cité fribourgeoise. Déclaré « sans valeur » et classé comme mobilier urbain, cette construction serait ainsi à intégrer avec les bancs et les poubelles plutôt qu’avec le kiosque de la place Georges-Python ou la station transformatrice de Beauregard construite en 1936. Il semble que le bien mobilier le plus proche et profitant du même statut soit une enseigne du magasin Modia placée à la rue de Lausanne. Les enseignes avoisinantes ainsi que la sculpture du Tilleul sont elles aussi classées au sein du mobilier urbain, mais seraient, d'après les autorités, d’une valeur historique, artistique, architecturale, ou sociale supérieure.
Détruire une station de tramway
pour un vulgaire abribus
Ne désirant pas tout conserver à tout prix et sombrer dans une nostalgie passéiste néfaste, mais voulant réfléchir au développement d’un quartier au tissu architectural et urbanistique exceptionnel, nous avons étudié en détails la proposition de «remplacement» de la station de tramway des Ormeaux. La mise à l’enquête du projet de requalification du Bourg n’a fait qu’attiser nos craintes. Le nouvel abribus dessiné est d’une rare faiblesse architecturale rappelant cruellement les abribus de la place Georges-Python, constructions insipides ne considérant aucunement leur environnement architectural et urbain. Certains répliqueront que ces abribus sont très fonctionnels et sûrement peu coûteux. Mais sont-ils plus fonctionnels que la station de tramway des Ormeaux? Des toilettes et une fontaine ont dû être apposées après les premières critiques des habitants du quartier. Mais une destruction de la halle de tramway, à la fois coûteuse et polluante, fait-elle sens pour être remplacée par cette vulgaire construction de métal? Un distributeur des TPF est déjà représenté sur les dessins des lauréats. Il ne manque plus qu’une machine Sélecta clignotant de tous ses feux pour vendre au passant ses snacks et boissons bourrés de sucre. Si un procès pour «faiblesse architecturale» doit être intenté, nous recommandons aux juges et spécialistes de nous faire l’éloge du nouvel abribus avant de condamner la station de tramways des Ormeaux à la peine capitale des «sans valeur».
Une double lignée d’arbres «ancestrale» à la rescousse d’un projet «minéral»
Au fur et à mesure du projet, des arbres ont dû être rajoutés sur les plans suite aux critiques des habitants et afin d’adoucir un projet à la minéralité acerbe qui aurait pu s’avérer fatale lors d’été caniculaire où la fraîcheur des végétaux aurait fait place à des fours pavés de bonnes intentions. Connaissant l’historique du projet, il devient dès lors surprenant que la station de tramway briserait la belle composition géométrique imaginée après-coup, sous la forme d'une double lignée d’arbres greffée au projet initial. Celle-ci trouverait soudain sa justification indiscutable dans des photographies du dix-neuvième siècle que les lauréats, chahutés par les habitants, auraient finalement prises en compte pour améliorer leur projet. Une vérité historique et irrécusable? Absolument pas. La place des Ormeaux a subi de nombreuses transformations depuis sa création et il est facile d’évoquer une période bien spécifique pour tenter de justifier des symétries créées sur des logiciels inventés au vingt-et-unième siècle et offrant des réalités virtuelles fallacieuses. En vérité, cette double lignée d’arbres n’a pas toujours existé! Elle ne peut en aucun cas justifier la destruction de la station de tramways des Ormeaux! Les pourfendeurs de cet édifice seraient-ils devenus les défenseurs dogmatiques d’un urbanisme datant d’avant la construction du tramway? Si tel est le cas, ne devraient-ils pas aussi songer à replanter des ormeaux – dont les nouvelles espèces sont résistantes à la graphiose – sur la place des Ormeaux?
Une réalité virtuelle
Un projet de requalification urbanistique tel que celui du Bourg ne peut se faire sans ses habitants et ses acteurs. Il ne s’agit pas de planifier une «cité radieuse» à grands coups de projections tridimensionnelles bien léchées, ne tenant nullement compte de la patine, des nuances, et du vécu des bâtiments. Un quartier et ses nœuds sociaux ne résident pas uniquement dans des lignes et des courbes, mais aussi dans des expériences individuelles et citoyennes, dans des «bonjour» et des discussions émergeant au sein de la halle de tramway des Ormeaux. Il s’agit d’une vie de quartier: un échange de regards avec la pendulaire qui prend le bus pour la gare ou avec le collégien qui nous casse les pieds avec des émanations de cigarette. Il s’agit là de la réalité d’un quartier vivant et cette vérité-là mérite tout autant d’être respectée que la réalité virtuelle provenant de l’imagination d’architectes effectuant leur coup d'essai, car leur atelier d’architecture ne semble pas pouvoir faire valoir une expérience concrète dans le domaine du patrimoine. La préservation de la station de tramway des Ormeaux ne remet aucunement en question la qualité architecturale et urbanistique de leur projet. Nous respectons leur travail, mais qu’ils respectent en retour l’expérience et les propositions des habitants, des citoyens, des acteurs, des commerçants et des cafetiers du Bourg.